mercredi 26 mars 2014

19 août 1869
Cher Journal,
Je crois que j'ai une fâcheuse tendance à m'embarquer dans des situations compliquées. Tout à l'heure, je découvris que dans le petit jardin sur lequel donne ma chambre se trouvait une remise. Je suppose qu'il doit y avoir de ce fait un autre accès au jardin, sûrement depuis le quartier des domestiques. Toutefois, ce n'est pas la question. En vérité, si je l'ai découvert, c'est parce que j'y ai vu du mouvement. Je sais qu'il aurait été plus sage d'appeler quelqu'un, étant donné que j'ignorais qu'il y avait une remise, mais j'ai préféré savoir ce qu'il en était d'abord. Je suis alors tombée sur Kumiko, accompagnée d'un jeune-homme. Quand celui-ci se tourna vers moi, je fus pour le moins stupéfaite : c'était le samouraï auquel j'étais venue en aide il y a déjà plus d'une semaine. Quand ils m'ont vue, Kumiko a commencé à paniquer. Je n'ai pas compris grand chose à ce qu'elle me disait, si ce n'est qu'elle me suppliait. Il me fallut l'aide du jeune-homme et de son anglais approximatif pour comprendre qu'elle me suppliait de garder le silence. Evidemment, il n'avait pas le droit de se trouver dans notre propriété sans notre accord, mais je sentis qu'il y avait plus que ça. Cependant, que pouvais-je faire face au regard démuni de Kumiko ? Je dû la rassurer pendant un bon cinq minutes, lui promettant de ne rien dire à personne, lui disant que je garderai le secret. Finalement je réussi à la rassurer, et le jeune-homme s'en alla. Je me demande néanmoins qui il est. Je sais qu'il est samouraï, et je sais également qu'il a plus ou moins l'air d'être le fiancé de Kumiko, mais pourquoi était-ce donc si important que je garde le secret ? Et plus simplement encore, je donnerais cher pour mettre un nom sur son visage. Ceci dit, Kumiko semblait tellement inquiète à l'idée que je les aies surpris que je ne voulais pas l'inquiéter davantage en lui posant des questions. Peut-être M. Sawada le saura-t-il ? Il semblait connaître Kumiko personnellement, peut-être connait-il aussi son fiancé ? Il me faudrait penser à le lui demander, même si je vois mal comment aborder le sujet.
Pour ce qui est du reste, M. Bennett est venu dîner ce soir. Ses intentions me paraissent de plus en plus claires, et cela me met de plus en plus mal à l'aise. Je suis tiraillée entre d'un côté l'épouser et rentrer chez moi, et de l'autre ... Rester. J'ai peine à y croire, mais je ne pense plus vraiment à partir. Pas avant que je n'ai assouvi ma curiosité à l'égard du peuple japonais en tout cas. Je ne pense pas réellement me prendre d'affection pour leur culture un jour, bien que je préfère ne plus faire de pareilles affirmations, mais l'idée de vivre à leurs côtés ne me parait plus si désagréable qu'elle le fut il y a à peine un mois de cela. D'un autre côté, M. Bennett est réellement un bon parti, mais je sais que jamais je n'éprouverai des sentiments pour lui. Comment venir à apprécier quelqu'un qui vous met mal à l'aise ? Et ce n'est pas une gêne due à la timidité ou que sais-je, mais un véritable malaise, qui n'a rien d'agréable. Sans compter que tant que M. Sawada sera dans les parages, je crains de ne pouvoir m'éprendre de personne d'autre. N'est-ce pas là une situation délicate ? Et j'ignore comment m'en sortir.


21 août 1869
Cher Journal,
J'ai des papillons dans le ventre rien qu'en repensant aux deux jours qui viennent de s'écouler ! Depuis que nous nous sommes promené dans Tokyo, M. Sawada et moi-même nous sommes considérablement rapprochés. Oh, rien d'indécent, loin de là ! Cela reste une relation de professeur à élève, mais cela me fait tellement plaisir. Pour le moment, je m'intéresse bien plus à leur culture qu'à la langue, mais M. Sawada semble s'en accommoder. Il me raconte beaucoup de légendes japonaises, d'où elles viennent, le message qu'elles véhiculent, et cela me permet de mieux comprendre leur mode de vie. C'est follement intéressant ! Ainsi, nous passons tous les jours deux heures à discuter, et il n'est plus le seul à parler. Je le découvre chaque jour un peu plus, et chaque minute que je passe à ses côtés est un ravissement. Le soir, c'est son sourire qui flotte devant mes yeux avant de je ne m'endorme. Je sais que ce n'est pas raisonnable, mais jamais je ne me suis sentie aussi légère. Du moins, quand je suis à ses côtés ... Le reste du temps, je passe énormément de temps à me poser des question. Mon principal soucis pour le moment réside en la personne de M. Bennett. J'ai de moins en moins envie de le voir, et pourtant je le vois de plus en plus souvent. J'ai parfois l'impression qu'il s'est installé chez nous. Je connais le motif de ses visites, mais cela ne fait que me rendre sa présence encore plus désagréable. Le plus triste étant que ce n'est pas de sa faute. Il n'a rien fait pour mérité mon détachement, pire, mon dédain. Il est parfait en tout point, bien fait, bien élevé, élégant, vif d'esprit, intelligent, bref tout ce dont une femme pourrait rêver. Seulement ... seulement ce n'est pas mon cas. Peut-être que s'il n'y avait pas eu M. Sawada pour me faire tourner la tête, je me serais éprise de lui, quand bien même j'en doute. J'ai l'impression qu'il ne joue qu'un rôle. Je ne mets pas en doute la sincérité de ses intentions, mais celle de sa personne tout entière. Comme s'il cachait quelque chose. Père ne semble pas s'en rendre compte et l'apprécie énormément. Quand il n'est pas là, il me répète sans cesse qu'il ferait un gendre idéal, me mettant dans une position plus délicate encore. Il faudra bien lui en parler un jour, mais j'ai de la peine à l'idée de briser ses illusions ...

En dehors de ça, Kumiko se comporte de façon encore plus serviable qu'avant. Je pense qu'elle a peur de ce que je pourrais raconter. Quelque part, cela m'attriste. J'aimerais qu'elle puisse me faire confiance ... Je ne veux pas qu'elle me craigne. Mais comment le lui dire ? Je suis obligée de donner raison à Père quand il disait que parler le japonais s'avérerait pratique, à présent je regrette de ne pas avoir été plus appliquée. Peut-être pourrais-je demander de l'aide à M. Sawada ? Seulement, j'ai promis à Kumiko de ne rien dire à personne, hors que ferais-je si M. Sawada me pose des questions ? Je suis coincée. D'un autre côté, je me dis qu'il la connaît, peut-être que du coup je pourrais lui en parler ? Mais ce serait bien trop risqué, j'ai peur de trahir Kumiko, et cette fille ne mérite pas d'être trahie. Il me faudra pourtant bien trouver une solution ... On dit que la nuit porte conseil, j'espère que ce sera mon cas.

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