mercredi 5 mars 2014


13 juillet 1869
Cher Journal,
J'écris ces premières lignes en espérant qu'elles m'aideront à tenir le coup si loin de chez moi. En ce 13 juillet, nous approchons des côtes japonaises, le pays où mon père a décidé de refaire sa vie. Bien sûr, ce fut sans prendre en compte mes multiples protestations... À quoi s'attend-il au juste dans ce pays alors que nous avions tout ce dont nous pouvions rêver en Angleterre ? Je ne parviens décidément par à le comprendre.
À bord, malgré l'air maritime, il fait une chaleur étouffante. Elle est bien loin l'Angleterre et ses températures modérées : j'ai l'impression d'être dans un charbonnage. Comment supporter une chaleur pareille ? Je doute m'y faire un jour. Tout comme je doute me faire à ce pays. Père m'a longuement parlé de leurs traditions, de leur langue, de leur mode de vie et de tout ce qu'il jugeait utile pour notre intégration. Très honnêtement, je n'en vois pas l'intérêt, comment se mélanger à des gens si peu civilisés ? Il n'est pas venu le jour où l'on me verra parler leur langue, ou m'appliquer à leurs coutumes. Je n'ai plus qu'à espérer que la présence d'occidentaux les influencera assez rapidement dans le bon sens, bien qu'en vérité je n'aspire qu'au jour où je pourrai rentrer chez moi. Ce n'est pas en soi une hypothèse à éliminer : de plus en plus de britanniques foulent le sol japonais, parmi eux des industriels mais également des militaires, dont des hauts-gradés. Je sais que jamais père ne s'opposera à une union matrimoniale, lui qui m'en parle depuis si longtemps, et à ce moment-là je pourrai rentrer chez moi. Bien sûr cela m'attristera d'être séparée de père, mais qu'y puis-je ? Rien ne l'obligeait à partir dans un premier temps ... Quoiqu'il en soit, d'ici-là, je continuerai à écrire de manière plus ou moins régulière dans ce journal, car c'est à présent tout ce qu'il me reste.


23 juillet 1869
Cher Journal,
Nous sommes enfin arrivés. Nous nous sommes installé dans une maison un peu à l'écart de la ville, à Tokyo. Père m'a expliqué qu'il s'agissait de la nouvelle capitale, qui avait été renommée ainsi en 1867, à savoir quand l'empereur s'y est installé. Auparavant elle s'appelait Edo. Les occidentaux sont réellement en affaire avec ce nouvel empereur. Apparemment, il a décidé de moderniser son pays - qui en a bien besoin. Je n'ai pas vraiment prêté attention au trajet que nous avons fait depuis le port, j'étais bien trop épuisée, mais les rues me semble si poussiéreuses, les maisons tiennent du taudis, et les gens ... Les femmes sont si peu attirantes, avec leurs cheveux noirs et raides, leur peau foncée par le soleil, et leurs tenues qui ne font pas honneur à leur féminité. Les hommes sont petits et gringalets pour la plupart, et porte également d'étranges vêtements que je ne saurais décrire.

La demeure est agréable, je ne peux pas le nier. Père a installée ma chambre avec vue sur le jardin, et c'est d'ici que je suis en train d'écrire. Il a engagé des servantes japonaises, qui ne parlent pas le moindre mot de notre langue, ce qui ne risque pas de faciliter la compréhension. Quoiqu'elles parlent si peu, même entre elles ... Dans l'ensemble, elles m'ont l'air aimables et efficaces, et après tout, c'est ce qu'on attend d'elles. Qui plus est, nous avons tout de même droit à un majordome japonais parlant un anglais à peu près correct, et par chance, mon père a réussi à engager un cuisinier européen. Au final, tant que je suis à l'intérieur, je n'ai pas trop de quoi me plaindre.
Père est souvent absent pour ses affaires, il faut qu'il fasse sa place sur le marché nippon. De ce fait, je passe beaucoup de temps dans ma chambre, à lire ou à dessiner. Cependant père m'a fait comprendre que mes journées seraient bientôt plus remplies ... Venant de lui je crains le pire.


26 juillet 1869
Cher Journal,
Cette journée fut sans doute la pire depuis que nous sommes arrivés ! J'ai finalement compris ce que mon père voulait dire lorsqu'il me parlait de remplir mes journées ... Tout à l'heure, il m'a présenté à Uchimarô Sawada, l'homme qu'il a choisit pour être mon professeur de japonais. Ne lui avais-je donc pas suffisamment répété qu'il était hors de question que j'apprenne cette langue rude et dénuée de charme ? Sans compter que je n'y vois pas le moindre intérêt. Lui, me parle d'intégration, mais depuis ma chambre, je n'ai aucune utilité à parler cette langue étrange. Pourtant, père semble en être convaincu, et je n'ai pas trouvé assez d'arguments que pour le faire changer d'avis.
Il a donc choisi un autochtone pour m'apprendre à parler le japonais, Monsieur Sawada. Celui-ci parle un anglais parfait, presque sans le moindre accent, et a des manières d'occidentaux. En ceci, j'ai été rassurée. Cependant, ce fut de courte durée quand je me suis rendue compte du peu de considération dont il fait preuve à mon égard. N'est-il pas censé être mon professeur ? Pourtant, il ne me porte pas la moindre attention. Je l'ai prévenue d'emblée que je ne comptais pas parler un mot de japonais, et pour toute réponse j'ai eu droit à un "C'est votre décision, je ne suis payé que pour vous donner cours, pas pour vous apprendre". Est-il donc possible d'être si mauvais pédagogue ? Ma foi, je ne me plains pas, au moins il ne me force pas la main, il n'essaie même pas de m'extirper le moindre mot. Ainsi, nous avons passé deux bonnes heures durant lesquelles il a parlé, m'a montré des symboles étranges auxquels je n'ai rien compris, avant de me remercier et de partir. Quel étrange personnage ... Néanmoins, il est une chose que je dois lui laisser : de tous les japonais que j'ai eu l'occasion de croiser, celui-ci est sans doute le plus beau. Il est vrai que je n'en ai pas croisé beaucoup, mais Monsieur Sawada a un visage tellement harmonieux qu'on lui pardonne vite ses traits orientaux. Je suis sûre que s'il était un peu plus attentif aux autres, il ferait quelqu'un de parfaitement agréable. 

En dehors de cela, aujourd'hui j'ai passé énormément de temps dans le jardin. Une servante japonaise m'accompagne partout où je vais, bien qu'elle ne dise pas le moindre mot. Yumiko, me semble-t-il qu'elle s'appelle. Elle m'a l'air fort jeune, mais il m'est difficile de juger dans la mesure où elle baisse la tête dès que je me tourne vers elle. Toutefois, je ne crois pas me tromper en disant d'elle qu'elle est d'une grande douceur, et d'une gentillesse à tout épreuve. Je regrette qu'elle ne parle pas l'anglais, bien que même si nous nous comprenions, elle n'a pas l'air d'être très loquace. Cela viendrait-il peut-être ? Les jours passent et me semblent de plus en plus longs sans personne avec qui converser ... Je n'ai pour seul exutoire que ce journal ainsi que mes dessins. 





crédits photo : Lunie Chan pour les deux premières, Anaé Monta pour la troisième.

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